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J'ai chanté à la prison de corbas (69)

J'ai chanté à la prison de Corbas le 11 Août dernier... Bref récit, d'un gars qui passe devant des mecs qui restent.

Le temps s'allonge. Il prend son temps. Tout prend du temps. Une porte, deux portes et puis trois... Le temps s'étire, il pèse.

Détenus. Prévenus, captifs... Là, posés.

Comme si nous leur donnions du temps en plus, du rabe de rien ! Plus de temps pour vivre cette privation de liberté. Le bruit des pas chante un requiem douloureux, étrange, la réverbération sonore glisse sur le béton. Les clefs, les voix,...

Une bouillie sonore et l'œil qui glisse entre les grilles. Le jour est vertical. Le bleu s'immisce entre les mailles. La vie est autour mais elle a su s'installer à l'intérieur.

« T'as vu ? » me lance un Homme d'une cinquantaine d'année ... Oui, je vois ! Une image de femme nue se cache sous son pull vert. Vert, c'est la couleur de l'espoir !

« On se débrouille ici, tu crois quoi ? »

Oui, ils se débrouillent, ils mettent en place une mécanique pour chaque chose : la Bouffe, les Cigarettes, le Sexe... Je mets intentionnellement des majuscules à ces mots qui me paressent anodins, simples, quotidiens. Non, ils ne le sont pas ! Ils recouvrent une réalité qui prend toute sa place quand on a passé la porte de la maison de détention.

La Porte : Entre deux, entre l'avant et l'après. Entre la respiration et l'étouffement. Entre la place et le confinement. Entre ma vie et la leur.

Lundi matin, j'ai rendez-vous entre 9H30 et 10 H 00. J'arrive quand je peux, il y a beaucoup de monde sur la route. Une mère de famille arrive au même moment que moi devant La Porte, elle est en retard sur l'horaire du parloir. On me dit d'attendre, que Monsieur X va m'ouvrir La Porte. Dans le même temps, on dit à la jeune mère de famille qui tend son gosse comme une preuve de bonne conduite, que c'est trop tard que les deux minutes de retard sont rédhibitoires. Elle devra revenir la semaine suivante.

« Mais, c'est mon bus qui a pris du retard, c'est pas moi, monsieur ! Ma fille, il faut qu'elle voit son père, Monsieur, s'il vous plait ! »

« Reculez madame, je vous ai répondu que c'était trop tard. »

Alors la jeune mère me regarde, elle s'accroche à moi et me harponne de ses yeux noirs...

On me fait entrer, elle reste dehors.

La porte d'entrée refermée, je ressens une pesanteur, je ne suis pas bien. Mon corps se défend en prenant des postures de mec à l'aise, un petit sourire, une fausse décontraction dans la démarche.

« Qu'est ce que je viens faire ici ? »

L'œil de la personne qui m'accueille est tranquille, son visage affiche la sérénité du quotidien. Moi, j'entre en terre inconnue, je résiste encore.

Je suis chanteur et je viens chanter. Chanter dans un lieu pareil... C'est pas possible ! Si encore j'étais accompagné d'un ou deux collègues musiciens, on se tiendrait chaud. Mais... non, je suis seul et j'ai peur de n'être pas à ma place. D'ailleurs, qui est à sa place ici ?

Après quelques minutes, je me déleste de mon téléphone portable, de mes clefs et de ma carte d'identité.

Patrick PERRET Né le 23 Septembre 1967 à Bourg en Bresse fils de ... Père de... Chanteur de son métier, Plutôt optimiste, tendance joyeux avec un soupçon de gravité les soirs de blues...

Je passe sous un portique. Le portique ne chante pas lui. Il sait que je n'ai rien de subversif dans les poches.

Les yeux de certains détenus ressemblent aux globes oculaires hagards des poissons d'eaux profondes.

L'heure de la rencontre qui doit précéder mon tour de chant approche. J'arrive dans une salle aux murs blancs, sans fenêtre. Une salle tout simplement. Trois détenus sont déjà là, ils attendent, ne discutent pas entre eux.

«Se connaissent-ils ? »

Voila la première question qui m'arrive sans crier gare. Elle sera suivie de nombreuses autres tellement l'endroit et la rencontre est étrange et ne ressemble à rien que je n'ai déjà vécu.

Par petits groupes, l'auditoire, le public, les détenus ... je ne sais comment les nommer, arrive. Ce sont des hommes, tout bêtement. Voila. Jamais je ne me se serai posé la question dans un autre lieu !

Notre échange commence et va durer deux heures. Je suis au cœur d'une prison et j'échange avec des hommes condamnés à des peines dont je ne sais rien. La richesse de notre rencontre m'entraine au cœur de la vie carcérale et la discussion s'oriente, de leur fait, sur les conditions de détention.

« Tu viens, me dit celui qui me semble le plus ancien, tu peux rester une heure, un jour, une semaine, deux mois, tu ne connaitras rien de l'incarcération de longue durée... Ici, à partir du moment où tu plonges pour plus d'un an, tu plonges pour toute la vie. C'est une condamnation à mort. Mort sociale, amicale, familiale ! »

J'écoute...

« Tu viens nous faire du bien pendant une heure, puis tu vas nous laisser là avec ces mots et ces notes dans la tête... C'est pas bien de nous faire du bien pour nous abandonner ensuite ! »
Moi, je suis mal à l'aise.

« Non, je déconne. On va se démerder avec tout ça. On a l'habitude... »

Moi je suis toujours mal à l'aise. Mais, j'ai l'impression qu'une espèce de sincérité baigne nos échanges. Les gars ne m'épargnent rien de leurs difficultés quotidiennes, ils me parlent de leurs désirs, de leurs problèmes avec la hiérarchie mais aussi de leur vie d'avant.

Peu me parlent de leur vie d'après.

Un seul détenu m'en touche un mot. Il me dit qu'il en veut à nous tous, qu'il va faire péter tout ça avec une « calach' » et que ce sera bien comme ça ... Je comprends rien. Faire péter quoi ? lui, moi, nous tous ?

Ils me posent des questions sur mes motivations à venir chanter dans le cadre de cette prison, me bousculent un peu, me bousculent beaucoup. Je pense qu'ils souhaitent m'entrainer vers leurs propres angoisses, souffrances. Si je pouvais en prendre un peu, me charger le dos comme un mulet de leurs histoires bancales. Ils souffrent alors je dois souffrir...

C'est ça que je ressens.

Le temps passe vite et l'heure annoncée par le gardien sonne la fin de notre matinée de rencontre.

Ils partent continuer à vivre leur détention, on se dit à tout à l'heure. Moi, je reste un instant les bras ballants. C'est à mon tour d'être hagard. Je deviens poisson dans la nasse. Je pense, j'essaie de comprendre ce qui vient de m'arriver ! je revis notre échange. Je suis libre moi, je peux partir et... je pense à eux. Je pense à chacun, au regard de chacun, à la tenue vestimentaire de chacun... La tenue vestimentaire en dit long sur l'incarcération : chacun un survet' d'une autre époque, d'un autre temps... Peut être le temps d'avant l'incarcération ! Ils me font pensé à ces images qui illustres les dossiers spéciaux des hebdomadaires quand ceux-ci consacrent leur une à la pauvreté, la misère, le Quart monde... Bref, j'ai dans les yeux des vêtements jaunes et verts, usés... Finalement, c'est vrai, à quoi bon prendre soin de soi quand on n'a personne à séduire ? quand on n'est plus soi même vraiment ?

Après un repas pris au cœur du mess entre gendarmes, gardiens, éducateurs travaillants en prison, je retrouve les détenus. Mais il ne s'agit plus de laisser libre cours à la conversation, je suis venu chanter. Je vais chanter.

Retour dans la salle blanche après le dessert sucré du mess.

Les détenus s'installent, certains causent entre eux. J'attends mais le silence tarde à venir. Alors je me lance, j'ai la trouille. Ils écoutent, je scrute les regards, les sourires, les expressions du visage. Je suis à l'affût du moindre de leur geste. Tout se passe bien mais il fait chaud. Un détenu se lève puis il se rassoit au fond de la salle, sur une table. Que faire, lui proposer de revenir parmi nous ? Non, ils ont assez de contraintes comme ça... Ce détenu s'allonge et il rêvasse. Un autre se lève et déplace le ventilateur. Dommage, moi je l'aimais bien ce ventilateur, il me rafraîchissait. Je ne dis rien, je chante. Passe l'heure et je suis à la fin de mon récital. Les détenus me demandent de continuer. Non, moi j'ai terminé, ça n'aurait pas de sens,. Y'a un début, y'a une fin. Une fin pour mon tour de chant, une fin pour mon intervention, j'ai préparé mon bazar !

Alors je demande à l'homme à ma gauche qui me semble très attentif depuis le début, si mon tour de chant lui a plu, s'il connaissait certaines des chansons, si , si...

« Oui, j'ai bien aimé... » me répond-il.

Moi, ça me fait du bien d'entendre cette réponse, alors je lui demande quel est son programme maintenant ? Il sourit... je comprends, il retournera en cellule quand je partirai..

« Si tu chantes encore un peu, ce sera autant de temps où je ne serais pas en cellule ! »

Alors je lis un texte et rechante une ou deux chansons, puis nous nous quittons.

Je plie mon matériel. Je mes clefs, écupère ma carte d'identité, mon téléphone portable. Je salue chacun des gardiens présents, fais un signe de la tête aux fantômes qui scrutent la prison derrière les vitres sans teints.

On m'ouvre la porte. La mère et son enfant croisés en début de matinée ne sont plus là !

Je suis assis dans ma voiture. J'attends quelques longues minutes.

Enfin j'e démarre et je rentre à la maison, retrouver la famille et la vie qui s'écoule entre chacun de ses membres.

En me couchant, le soir, une simple pensée : « Qu'est ce que JE FAIS de MA LIBERTE ?